vers une guerre du Berry contre Paris ?
Edouard Vaillant au Panthéon : les Vierzonnais n’en veulent pas !
C’est une polémique récurrente et bien de chez nous qui menace d’enflammer de nouveau les réseaux sociaux comme les médias nationaux : quelle personnalité est-il urgent de mettre au Panthéon cette année ?
Avec les 150 ans de la Commune, chacun s’est tourné vers une personnalité majeure de cet épisode intense de notre histoire, longtemps tenu sous le boisseau du roman national, mais comme le refoulé ne reste pas éternellement sans connaître un retour inéluctable, il est désormais incontournable partout.
Il n’est pas de journal, d’hebdomadaire, de revue d’histoire qui n’y consacre des pages enflammées, voire des numéros spéciaux dithyrambiques. Sans parler des vidéos à la gloire de la Commune, où historiens de toutes sortes - de hasard, de bazar, ou de grande notoriété -, accourent pour que le plus grand nombre de likers partagent leur enthousiasme.
La Commune est désormais visible dans toutes les manifestations ou presque, même contre le projet de loi Climat, comme chacun a pu le constater tout récemment dans la bonne ville d’Auch (dans le Gers).
Le Journal du Gers (28 mars 2021)
Mais revenons au Berry. En 2013, François Hollande Ier ayant souhaité féminiser la crypte du monument, prêt à passer outre ou à corriger le fameux « Aux grand hommes etc. », avait suscité les candidatures de George Sand et de Louise Michel… entre autres.
Mais une anarchiste au Panthéon, ça n’est pas passé. George Sand, dans le camp adverse lors de la Commune, aurait eu sa chance si le Berry autour de Nohant-Vic ne s’y était fermement opposé : « Elle reposera cheux nous, et pis c’est tout ! » Et tant pis pour les personnalités qui soutenaient cette proposition, comme la couturière Sonia Rykiel, la romancière Régine Desforges, la comédienne Juliette Binoche, la philosophe Elisabeth Badinter.
Etrangement, cette dernière serait encore légitime à dire son mot dans la polémique présente, non pas en tant que féministe cette fois, bien sûr, mais - et c’est trop peu connu, Publicis n’en ayant pas encore fait la publicité - en tant que descendante d’Edouard Vaillant.
Isabelle Badinter et le buste d'Ambroisine Vaillant, mère d'Edouard Vaillant
En effet, que cite-t-on spontanément pour dire tout le bien que l’on pense de la Commune ? Son programme scolaire, bien évidemment, de dix ans antérieur à celui de Jules Ferry… lequel, maire de Paris alors, l’avait d’ailleurs retardé de dix ans en délaïcisant les écoles de la Commune, aussitôt après son anéantissement.
Eh oui, en tant que délégué à l’Education, le Vierzonnais Edouard Vaillant porte la glorieuse responsabilité de l’école laïque, gratuite, obligatoire, à égalité de traitement préalablement sensiblement augmenté pour les institu-teurs/-trices (ce truc typographique est un peu grossier, mais c’est pour montrer que le féminisme n’est pas non plus absent de sa candidature).
Cependant tout cela pèse bien peu aux yeux des opposants, qui veulent à tout prix garder Vaillant chez eux.
Au conseil municipal, communistes et socialistes, héritiers du vaillantisme, n’entendent pas se voir déposséder au profit de Paris de leur traditionnelle montée à la tombe de leur grand homme qui repose au cimetière de Vierzon-Ville. En outre, il s’agit d’un caveau familial, où reposent, outre ses parents Michel et Ambroisine, son fils Jacques et son petit-fils Philippe.
Et puis l’argument économique, comme partout, a toutes les chances d’être décisif. Après l’importante désindustrialisation de Vierzon suite au retrait de l’usine américaine de matériel agricole et industriel CASE à la fin du XXe siècle, Vierzon compte beaucoup sur le tourisme pour se refaire la cerise. Le canal à vélo est ici une des voies à suivre. Or les rues de Communards, nombreuses ici, et les lieux de mémoire concernant Vaillant (le lycée, l’avenue, les maisons, la natale et les autres,…) entrent dans le cadre d’un circuit cycliste qui sera révélé et mis en valeur cette année, puisque Vierzon est ville étape du Tour de France cycliste et ville étape des conférences itinérantes de l’association nationale des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871. Pas question de renoncer à pérenniser cette entreprise sous prétexte de parisienne panthéonisation !
Et puis l’attachement à Vaillant, ici, est unanime. Sans parler ici des membres locaux des Amies et Amis de la Commune pour qui ça va de soi (l’un d’eux a même poussé « la folie en tête » jusqu’à consacrer près de 1000 pages à son idole !), notons simplement qu’à droite comme à gauche, on est fiers de compter parmi ses enfants cet illustre ingénieur révolutionnaire.
Lors de la vaillantisation (1) du centenaire de sa mort, tout le monde a participé activement. Et maintenant qu’il est célèbre, qu’il possède même son épithète homérique (on dit maintenant « Vaillant la tête pensante de la Commune » aussi naturellement qu’on dit « l'Aurore aux doigts de rose » ou « Athéna la déesse aux yeux pers »), pas question de le laisser filer ailleurs.
Pour les épithètes de cette nature, il est vrai qu'il n'en manque pas, et de potentielles autres se devienent à l'horizon, notamment après les publications de Gilles Candar. Par exemple: "l'inventeur de la gauche", ou "le ministre des affaires étrangères du Parti Socialiste" (je n'ai pas de crainte que vous confondiez, mais il est toujours bon de le répéter: c'est au sens de l'époque, pas de la nôtre, c'était au temps où le mot englobait à la fois les concepts de socialisme et de communisme).
En revanche, il est une autre épithète qui lui fut attribuée en propre et qui, celle-là, est d'époque, à savoir: "le grand-père de la CGT", en raison de son action particulièrement efficace pour sa création, son développement, et son indépendance. C'est donc logiquement qu'il fit sa première sortie en manif et en voiture lors du rassemblement du 20 février 2020 devant la Sous-Préfecture, où les syndicats hospitaliers de Vierzon ont déposé (une partie de) leurs vêtements en manière de protestation contre le manque de moyens alloués à l'hôpital dans un contexte tendu de (prétendue) réforme des retraites.
Pour les éventuelles manifs envisagées concernant notre propos actuel - s'il faut en venir jusque-là -, les slogans, les chansons, les détournements de chansons se préparent activement.
En vedette a priori, la chanson de Gaston Couté qui permet de proclamer: "Il est à nous!"
Les gros, les grands !…Si c’est à vous
Écus sonnants et bonne terre
Les gros, les grands !…Si c’est à vous
Vous les gardez pour vous !
Mais not' Vaillant, il est à nous
Et c’est notre seul bien sur terre.
Mais not' Vaillant, il est à nous
Nous le gardons pour nous !
Rappelons à cette occasion la devise de Vierzon : "Aliunde pauca requirens", « demandant guère à autrui », extrait d’une phrase du Lexicon Universale de Johann Jacob Hofmann (fin XVIIe siècle) : "Virzio villa virens, aliunde pauca requirens, Vitibus ornata, campis, pratis decorata" (Vierzon ville verdoyante [fleurissante, prospère], demandant peu aux autres, ornée de vignes, de champs et de prairies).
Alors oui, ville qui demande peu aux autres... et qui demande réciproquement que les autres ne lui en demandent pas trop.
Et qu’on ne lui demande surtout pas de céder l’un de ses plus précieux joyaux, son grand homme et enfant chéri : Edouard Vaillant !
(1) vaillantiser v tr dir Action de redonner tout son lustre, tout son éclat, toute son importance, à une personnalité qui la méritait amplement et que l’histoire avait oubliée malencontreusement sur le bord de son chemin. Plus simplement : Action de remettre dans la lumière de l’histoire quelqu'un qui en avait été indûment écarté.
NB- Ce mot vient combler une lacune dans la langue, le mot « réhabiliter » généralement employé à défaut d’un autre dans cette acception, ayant fondamentalement un tout autre sens.
Jean-Marie Favière
(sur une idée de Michel Pinglaut)
Employé absolument, le verbe a pour complément d'objet implicite le nom propre "Vaillant".
Ex : "Le dernier numéro de notre bulletin vaillantise."
Vierzon
Désormais dernière Maison de la presse à Vierzon |
Photo: http://vierzonitude.fr.over-blog.com/2018/10/la-librairie-presse-du-mouton-dernier-specimen-d-une-espece-presque-eteinte.html |
(S'il n'est pas en rayon, demandez-le).
Châteauroux
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