que je ne saurais voir.
On a envie de continuer en suivant Molière:
"Par de pareils objets les âmes sont blessées
Et cela fait venir de coupables pensées."
Pensées iconoclastes, pensée statuoclastes ? En ces temps échauffés, il ne faudrait pas trop attiser les braises. Soyons donc clair d’entrée : gardons les témoignages historiques, même les plus déplaisants, mais ne les exhibons pas publiquement comme des exemples à admirer. Il y a des musées pour la conservation de ce genre de « patrimoine », et on peut espérer que les commentaires pédagogiques soient bien à la hauteur, comme c’est habituellement le cas dans les musées consacrés à l’occupation et à la résistance.
La chaleur aidant, nous décidâmes soudain, récemment, d’aller piquer une tête dans l’océan le plus proche. Cap sur Saint-Vincent-sur-Jard, la ville qui possède et entretient avec vénération historique et esprit de rentabilité touristique la maison de Clemenceau. C’est là qu’a fini ses jours ce « Clemenceau bifrons », avec une face claire de communard, et une face noire de répressif du peuple. A chaque fois je pense, en l’évoquant, au « Masque » de Baudelaire, poète type de la double postulation, dont témoigne son titre le plus célèbre, Les Fleurs du Mal :
"Mais non ! Ce n’est qu’un masque, un décor suborneur,
Ce visage éclairé d’une exquise grimace,
Et, regarde, voici, crispée atrocement,
La véritable tête, et la sincère face
Renversée à l’abri de la face qui ment."
Bon, quelle est la face sincère de Clemenceau, la belle progressiste agréable à contempler, ou la hideuse réactionnaire, qui repousse le regard ? Je ne m’attarde pas à y réfléchir. L’attrait de la fraîcheur océane est la plus forte. Pas assez forte cependant pour me dissuader de faire une halte à Saint-Savin-sur-Gartempe, avant Poitiers, pour vérifier si mes impressions sur place seraient les mêmes que celles qui m’étaient venues à mes lectures antérieures sur cette ville.
Elles le furent en effet. Saint-Savin aussi m’apparu bifrons, avec son côté lumineux et son côté obscur. Par quelle aberration la ville a-t-elle pu accepter d’abriter en son sein une pareille vipère, à savoir la statue de l’abominable Thiers ? Circonstance aggravante : c’est même la seule en France à connaître une telle énormité. Pourtant, rien dans le contexte local ne semble prédisposer à l’exhibition obscène de ce symbole fort du déshonneur national. Les habitants, à en croire les élus qu’ils se donnent, sont plutôt progressistes, républicains et sociaux à la fois, tout le contraire du massacreur du peuple, le peuple de la révolution communarde qui défendait à Paris la république d’alors, contre les monarchistes haineux retranchés à Versailles sous la direction de Thiers.
Ce détestable monument à la gloire du cynisme meurtrier que notre enseignement, qui se flatte pourtant de promouvoir notre histoire nationale, dérobe avec une belle constance à la vue de nos chères têtes blondes qui feront la France de demain, n’est pas situé n’importe où. Tout près de lui, se montre ostensiblement, et donc résolument, avec tout un spectre coloré tricolore assumé, une école, laquelle célèbre avec force, au contraire, les valeurs opposées de la résistance à l’oppression. Et cela fait du bien, et même cela rafraîchit l’esprit sous ce ciel caniculaire qui était alors le nôtre.
Nous avions garé notre véhicule sur la place centrale. Et là aussi on découvre un autre témoignage de cette curieuse schizophrénie urbaine : un monument s’y déploie, tout à la gloire des héros des guerres de 1870-1871. Je conçois que de tels monuments peuvent aussi avoir un caractère ambigu, et que certains voient même en Thiers l’imposteur le continuateur de ces véritables défenseurs du territoire. Mais pour moi les souvenirs de l’armée de la Loire sont ici dominants, et les soldats de Chanzy, comme d’autres du même combat, me viendront toujours bien plus spontanément à l’esprit.
Cette école et ce monument me suffiront pour l’instant comme atténuation de ce scandale peu civique. J’en ajoute un autre, car je suis bien disposé : au moins cette statue n’a-t-elle rien de triomphant, masquée qu’elle est par des feuillages dont on veut croire qu’on les laisse pousser à dessin pour épargner aux passants la vue de cette hideuse nudité, et reposant sur un socle sans beauté qui semble opportunément se dégrader, et dont on croit aisément qu’aucun zèle restaurateur ne se manifestera de sitôt pour lui éviter de choir dans le caniveau voisin. Comme je ne suis pas statuoclaste, je ne souhaite pas cette chute, et pas uniquement pour des raisons de sécurité publique évidentes.
Je suis en effet pour qu’on conserve au mieux les traces de notre passé, toutes, et pas uniquement celles du plus glorieux passé. Mais au moins qu’on ne donne pas semblable chose à l’admiration collective au centre d’une place publique, et qu’on la garde, cette statue, comme on garde une archive, qu’elle soit glorieuse ou honteuse, dans quelque endroit obscur. Elle sera particulièrement à sa place, dans le noir local qui la conservera pour l’édification des générations futures auxquels on expliquera – on peut toujours rêver – qu’il fut un temps lointain où, malheureusement, notre histoire, honteusement, errait.
Saint-Savin, c'est ici, à une cinquantaine de kilomètres de Poitiers:
Les lieux qui nous intéressent présentement. Il suffit de passer le pont (sur la Gartempe).
Rond-Point du Square, c'est là qu'on aperçoit la statue de Thiers, cachée dans le feuillage ou couverte de feuillage, pour être plus près de Molière.
Juste en face, il y a l'école.
Place de la République, le monument aux soldats de 1870-1871.
Les hauts et les bas de Thiers, voyage en montagnes russes.
Tout part de Nancy, où il y eut suffisamment de partisans influents de Thiers pour lui consacrer une statue en 1879, deux ans après la mort de leur grand homme.
Puis il y eut un temps où ce monument devint surtout gênant et fut remisé dans un endroit obscur. Un colon resté admiratif et certainement influent ne l'entendit pas ainsi, et obtint qu'une copie le suivît en Algérie, à Bône (aujourd'hui Annaba).
Vint alors la décolonisation, et la statue fut éjectée d'Algérie. Elle fut recueillie à Saint-Savin, où elle demeure encore de nos jours, avec un satut controversé.
Plus de détails sur les tribulations de ce monument dans les pages suivantes...
Je vous ai dit l'ambiguïté de la présence de Thiers dans la commune de Saint-Savin.
J'en ai trouvé ensuite une première confirmation en allant sur la site touristique de l'endroit. C'est déjà une indication intéressante, même si une petite enquête sociologique auprès des habitants pourrait sans doute apporter des précisions intéressantes à ce sujet...
Adolphe Thiers (1797 - 1877)
Nombre de touristes s'interrogent sur la statue monumentale située square Borderon sur la route de la Gassotte sans aucune indication d'identité ce qui est pour le moins inhabituel. Ce mystérieux personnage, homme peu apprécié dans la commune semble-t-il, représente en fait Adolphe Thiers, avocat et homme politique, premier Président de la Troisième République en 1871. Cette statue "rapatriée d'Algérie" après la guerre (1965?) est arrivée un peu par hasard à St Savin sans n'avoir aucun lien avec la commune. Elle y est un peu abandonnée, mal entretenue, cachée dans les arbres sans doute pour des raisons politiques, la commune de St Savin ayant été dirigée à la fin du XXème siècle par un maire communiste. Elle reste néanmoins d'une belle facture.
La mention du maire m'incite à suivre la piste. Le maire actuel PS serait-il un adepte du "en même temps"?...
On y découvre aussi que le maire PC a assez largement débordé sur notre siècle, et que celui qui donne actuellement son nom à la place de l'école a connu un destin bien tragique.
Du Mur des Fédérés à l'auteur du Massacre
Tandis qu'Olivier Autissier photographiait avec poésie le Mur des Fédérés, je pixelisais la seule statue encore dressée de l'ignoble, de l'odieux Thiers... Eh oui, à St Savin sur Gartempe on ne trouve pas seulement les plus importantes fresques romanes de France voire du Monde, mais aussi, la dernière statue d' Adolphe Thiers... Elle serait ici pour la raison suivante et en vertu de l'honnêteté profonde du Peuple Algérien ! En effet, dans les années soixante, après que la France eut quitté l' Algérie dans les conditions qu'on sait, le tout nouveau gouvernement algérien au lieu de les fondre pour en récupérer le métal, pria la France de reprendre toutes ces statues qu'elle avait répandues dans les villes et les campagnes et dans un visionnaire souci d'écologie idéologique, de rapatrier ses cochonneries... Il s'agissait d'une sorte de grand lessivage du souvenir colonial. Le gouvernement français coincé par la menace d'une profanation jugée insupportable, lança un appel aux 36.650 communes de France pour accueillir ces réfugiées ornementales aussi pesantes que peu coûteuses... St Savin se porta candidate. On lui aurait proposé au choix un groupe de naïades un peu trop dénudées pour le goût des édiles et cette statue de Thiers qui trônait à Oran [sic. "Bône"]. On préféra Thiers aux pulpeuses, Thanatos à Éros... Il resta des années dans un coin de la commune jusqu'à ce qu'on se décide Dieu sait pourquoi de le ré-ériger. Ce fut fait sur une petite place excentrée, un peu à la honteuse... On l'a, sans doute par économie, placé sur un petit piédestal, ce qui, curieusement, le rend plus humain donc plus monstrueux. Voilà comment le Boucher des Communards se retrouve malgré sa petite taille et son léger embompoint restauré en catimini dans sa splendeur infatuée d'une remarquable modernité... Moi, je serais d'avis qu'on l'expédie à Versailles, chez les Versaillais... [sic. "versaillais"]
Publié par P. P. Lemoqueur à 6/04/2009 06:45:00 PM
3 commentaires:
Anonyme a dit…
Ne serait-ce pas l'occasion de créer un parc d'attraction d'un nouveau style? Un dégueu's land? Il y aurait la statue de Thiers, celel de Charles X, celle de Pétain, de Doriot, de Staline...On vendrait destomates pourries à l'entrée et l'on s'amuserait à en bombarder les bronzes de Pinochet, Nivelles, Saint Dominique... Ce serait fort éducatif pour les enfants des écoles...
Hors landau
9:29 AM
riskofil a dit…
Sous un certain angle, on dirait que M. Thiers est en train de pisser, ça faisait marrer mes camarades de classe quand on passait devant, dans le car qui nous emmenait au collège.
Ca désacralise l'ordure.
10:00 AM
P. P. Lemoqeur a dit…
Oui, mais le problème, c'est que les révolutions fomentées on le sait, on nous le répète, par des brutes épaisses bouffies d'ingratitude, sont généralement iconoclastes, et que les héros précédents sont régulièrement par leurs soins attentifs, dégommés, anéantis, dévastés, ratatinés... La statue de Thiers, même si le personnage de fut pas, hélas, victime d'un règlement de compte, ne doit son salut qu'à son éloignement...
Tiens, essayez donc de trouver une statue de Pol Pot, même au format presse-papier !
10:24 AM
De l'importance de l'angle de prise de vue, pour Thiers, mais aussi pour le général Louis Charles Antoine Desaix (Place de Jaude, Clermont-Ferrand, en face de la statue de Vercingétorix):
Cruauté etc.
Citation :
‘’Clovis Hughes, député de la Belle-de-Mai, quartier populaire de Marseille de 1881 à 1889, s’insurgeant contre l’idée d’élever une statue de Thiers dans sa ville natale, s’écrie : « Eh ! parlons en de ce petit grand homme. Si toutes les victimes qu’il a faites en formaient le socle, sa tête irait toucher le ciel !‘’
Extrait du livre ‘’ Adolphe Thiers ou de la nécessité en politique ‘’ de Pierre Guiral, Éditions Fayard, 1986.
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ce qui s'est passé un
4 août
pendant la vie d'Edouard Vaillant
...ou après...
https://commune1871.org/association/qui-sommes-nous/adhesions-et-soutiens/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=48&Itemid=357
...ou après...
Une aide à la réflexion récente sur le contexte national de la Commune:
https://commune1871.org/association/qui-sommes-nous/adhesions-et-soutiens/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=48&Itemid=357
vaillantiser
Action de redonner tout son lustre, tout son éclat, toute son importance, à une personnalité qui la méritait amplement et que l’histoire avait oubliée malencontreusement sur le bord de son chemin.
Plus simplement :
Action de remettre dans la lumière de l’histoire quelqu'un qui en avait été indûment écarté.
Ex : "C’est en 2015 que pour la première fois on a vaillantisé quelqu’un, et ce quelqu’un, c’était Edouard Vaillant lui-même."
N’hésitez pas, qui que vous soyez, à l'employer partout par exemple dans des phrases du genre :
Et bien entendu le dérivé "
TOUTES NOS DATES IMPORTANTES
Rentrée littéraire de septembre 2015
Je te parle au sujet d'EDOUARD VAILLANT
Tome I : La tête pensante de la Commune.
374 p. 18,80 €
484g
les 2 volumes 1044g
L'EDITEUR
LES POINTS DE VENTE LOCAUX
18
Vierzon
Espace culturel Leclerc (48 avenue de la République)
Presse tabac Mongeot(4 rue du Mouton)
Bourges
La Poterne (41 rue Moyenne)
(mystérieusement exclu depuis 2016)
Centre commercial Carrefour Bourges (Chaussée de la Chappe)
Référencement national - partout en France - dans les magasins Carrefour.
(S'il n'est pas en rayon, demandez-le).
(S'il n'est pas en rayon, demandez-le).
36
Châteauroux
Cultura Saint-Maur (Zone Commerciale Cap Sud, 10 Boulevard du Franc)
Aussi recommandés et également présents, le dictionnaire berrichon de Michel Pinglaut, le "Edouard Vaillant" de Gilles Candar, le "La face cachée de la Commune" d'Hélène Lewandowski.
Issoudun
COMPTES-RENDUS DU LIVRE
11 3 16
29 2 16
1 11 15
20 10 15
28 08 15
DOSSIER DE PRESSE
La pensée d’Edouard Vaillant représente l’adaptation la plus parfaite du socialisme scientifique à notre tempérament national.
(Jean Jaurès)
Vaillant n'est pas seulement un grand homme pour Vierzon, il est un grand homme pour l'histoire.
(Vaillantitude)
La vaillantisation est une entreprise collective qui rassemble, et c'est tant mieux, des personnes de convictions différentes et variées qui ne regardent qu’elles. Les rapprochements avec l’actualité récente et les éventuels commentaires personnels induits n’engagent que l’auteur du blog et lui seul.
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